Témoins Vivants: Vers une écologie profonde et un mode de vie durable

I. Les deux crises. 
Quand des amis se rencontrent, ils peuvent se demander, "Comment va ta mère?" Et voilà, c'est ce que je veux vous demander, à chacun, à moi aussi: Comment va ta mère? J'aurais bien voulu vous répondre, "Pas mal", même "très bien", mais ce ne serait pas vrai. Notre mère, la Terre, est en crise. Plus exactement, elle subit deux crises en même temps, deux crises qui s'entrelacent mais qui sont différentes.

(i) La Crise Ecologique. 
Dans l'histoire de la Terre - c'est-à-dire, pendant les derniers 550 millions d'années, depuis l'arrivée des fossiles grands et abondants - il y a eu cinq grands événements d'extinctions catastrophiques. Entre autres, par exemple, les événements violents qui ont vu la disparition des dinosaures, à la fin de l'ère du Crétacé il y a 65 millions d'années, quand 50% de toutes les espèces vivantes ont aussi disparu. Plus terrible encore, la catastrophe - ou série de catastrophes - il y a 250 millions d'années, à la fin du Permien, quand 95% des espèces ont disparu. C'était à peu près la fin du monde - du monde vivant. 

Mais ce genre de chose n'est pas seulement l'affaire du passé géologique lointain. Il est de plus en plus évident que - au siècle actuel - nous allons vers une catastrophe comparable. Il n'est pas encore clair si ce sera à l'échelle de la fin de l'ère du Crétacé, ou plutôt pareille à la fin du Permien. Cela dépend peut-être encore de nous. Les Paléo-biologistes ont calculé un 'taux de base' ['Background rate'] pour les extinctions " normales ", c'est-à-dire, avant que les humains aient commencé à influencer l'environnement. Alors, le taux d'extinctions actuel est censé être entre 1000 fois et 10.000 fois au-dessus de ce 'taux de base'. [Voir E.O. Wilson, 'The future of life'.] 

Partout dans le monde, la destruction des habitats menace des éco-systèmes entiers. Dans les 40 prochaines années, un tiers (37%) de toutes les espèces vivantes sont appelées à disparaitre. Cela, c'est le scénario 'moyen'; dans la pire des hypothèses, ce sera jusqu'à 52%. [Voir Chris Thomas et al., 2004, Nature.] Stephen Jay Gould a parlé d'un 'Age de Solitude' imminent pour les humains : sans les hirondelles, sans les abeilles, sans les ours polaires, ni les grandes baleines... C'est cela la crise écologique.

Et qu'est-ce que c'est une écologie profonde? Au fond, c'est la prise de conscience que nous, les humains, sommes une espèce comme toutes les autres ; que nous partagions la Terre avec elles ; que toutes les autres créatures ont une valeur et un droit d'existence absolu - et pas moins que nous. C'est la prise de conscience que la Terre ne nous appartient pas, mais que nous appartenons à la Terre. Enfin, c'est la prise de conscience que la Terre est sacrée, et avec Elle tous les êtres vivants qui en dépendent. 

(ii) La Crise du Climat. 
Comme tout le monde le sait maintenant, le gaz carbonique (CO2) dans l'atmosphère nous fait un joli effet de serre, ce qui a réglé la température globale entre 15 et 25 degrés - donc commode, voire nécessaire pour la vie - depuis plus de 600 millions d'années. Comme le sait aussi tout le monde, pendant les dernières décennies, surtout depuis les années 40 du siècle passé, nous - c'est-à-dire, le monde industrialisé - nous avons brûlé tant de carbone (le charbon, le pétrole, le gaz) que nous avons élevé le taux de CO2 dans l'atmosphère par 24%. Ce qui augmente l'effet de serre. Ce qui alors réchauffe le monde d'autant plus. L'énergie du soleil ainsi retenue dans l'atmosphère, donc ajoutée au système du climat, a été estimée comme équivalent de presque 5 bombes de Hiroshima par seconde. [D. Wilks, 2006] Ce n'est pas surprenant, alors, que cela déclenche un si grand nombre d'effets chaotiques dans le climat : encore d'orages, et plus féroces, encore d'inondations, et en même temps encore de sécheresses. (Par exemple, le Lac Tchad en Afrique, autrefois le sixième plus grand lac d'eau douce du monde, dans les derniers 40 ans s'est rétréci par 95%. De l'autre coté, l'Organisation Mondiale de Météorologie indique que, pendant la décennie passée, les inondations ont frappé 1,5 milliards d'êtres humains.) Evidemment, aussi, la plupart des victimes du changement du climat (jusqu'ici) habitent dans le Tiers Monde : en Afrique, en Asie tropicale, etc. 

Mais tout cela n'est que le commencement. Jusqu'ici la température globale ne s'est haussée que 0,8 degré. Mais l'effet de serre a un délai de 30 à 50 ans. Les scientifiques du monde - le IPCC - prédisent que, au cours du siècle présent, les températures mondiales auront augmenté quelque part entre 2 et 6 degrés. (La différence dépend de combien nous pourrons diminuer nos émissions de carbone!) 
Mais qu'est-ce que cela veut dire pour la Planète : 2 à 6 degrés ? 

Avec 2 degrés, les modèles prédisent deux secteurs de désertification qui encercleront la Terre. Un dans l'hémisphère nord : le Mexique, la Méditerranée, l'Asie centrale ; un autre, hémisphère sud : l'Afrique du sud, l'Australie, l'Amérique du sud... Ce qui va provoquer des manques de nourriture colossaux et meurtriers. 2 degrés, c'est le minimum auquel s'attendre au cours de ce siècle. 

Avec 3 degrés, la plupart de l'Afrique du sud (Zimbabwe, Botswana, Angola, Namibie) deviendra un désert de sables roulants - inhabitable. Dans l'Amazonie, les pluies se réduiront vers zéro d'ici l'an 2100. [Voir Mark Lynas, 'Six Degrees', 2007.] Donc la forêt amazonienne va partir en fumée. Cela est un exemple des effets de rétroaction galopants ('positive feedback') : l'Amazonie en flammes ferait des émissions de carbone plus grands que toutes les émissions humaines ensemble. La dernière fois que la température globale touchait 3 degrés au-dessus du niveau préindustriel, c'était il y a 3 millions d'années, dans le Pliocène, avant les Périodes Glacières. A cette époque-là, le niveau de la mer était de 25 mètres plus haut qu'aujourd'hui. Adieu, donc, à toutes les grandes villes du monde. 

Je ne vais pas continuer ! Cela est ce qu'on peut anticiper si les températures globales montent seulement de 3 degrés : un niveau qui n'est même pas au milieu des possibilités prédites. Quelque part entre 3 et 5 degrés il y a bien d'autres effets de feedback positif (de réchauffement galopant) que rien ne pourra arrêter. Par exemple, l'échappement des hydrates de méthane, gelés actuellement au fond de la mer. (Le méthane étant 22 fois plus puissant que le CO2 en effet de serre, ceci déclenchera un réchauffement galopant.) 

En somme, au-dessous de 2 degrés, ce sera grave, très grave, mais l'humanité survivra. Au-dessus de 3 degrés - impossible de dire. ('All bets are off.') C'est ça l'urgence. Nous avons encore peut-être le temps. Mais la voie de l'action rétrécit chaque jour. 

II. A la recherche d'un mode de vie durable. 
(i) Combien nous en sommes loin. 
Pour bien comprendre où nous en sommes, il faut bien se concentrer sur 4 chiffres fondamentaux. (Quand je les ai découverts, ces 4 chiffres m'ont donné la chair de poule. C'était un moment de révélation.) [Les chiffres (ci-dessous) sont exprimés en tonnes de 'carbos'. Un 'carbo' est l'unité d'émissions avec effet de serre équivalant à un kilo de CO2. Il y a d'autres émissions plus puissantes que le CO2. Par exemple, les moteurs à réaction des avions produisent l'oxyde d'azote [NO], ce qui est x 310 plus puissant en effet de serre que le CO2.] 
Quatre chiffres fondamentaux : 
1. Capacité d'absorption de la Terre (sols, forets, océan) : 10 milliards de tonnes par an ; 
2. Population humaine (2008) : 6,7 milliards ;
3. Donc l'allocation durable et équitable par personne: 1,5 tonnes par an;
4. Nos émissions moyennes actuelles par personne (France, GB, etc.) : 12,5 tonnes par an, en effet x 8 plus que le taux équitable. (Autrement dit, si tout le monde adoptait notre mode de vie, il nous faudrait 8 planètes pour en absorber la pollution.)
Alors, pour trouver un mode de vie durable et équitable, il nous faudra réduire nos émissions - et aussitôt que possible - de 87%. 

(ii) Pourquoi réagir à cela - même y croire - nous paraît si difficile ? 
J'ai une confession à faire. J'ai bien étudié ce sujet ; je crois que je le comprends assez bien. Je le reconnais comme le problème le plus important, le plus urgent du monde. Et quand-même je me conduis souvent comme si je n'y croyais pas vraiment. Je suis comme les fumeurs, qui connaissent les risques de la cigarette, mais qui continuent à fumer. Ou comme les toxicomanes, qui sont devenus dépendants de la drogue. Et je ne suis pas le seul ! A quelques exceptions près, la plupart des gens que je connais sont pareils.

Pourquoi ? Je crois pouvoir vous l'expliquer. Chacun de nous est doué d'un thermostat intérieur pour flairer le danger et pour y réagir. C'est un thermostat qui a été formé et qui a fait ses preuves pendant des millions d'années d'évolution psychologique. Ce 'thermostat de danger' est éveillé par les menaces visibles, immédiates, compréhensibles, aux effets néfastes physiques et personnels. Et surtout, comme êtres sociaux, nous sommes équipés à réagir quand il y a un ennemi identifié. Par contre, le changement du climat n'a aucune de ces qualités. Ses menaces sont invisibles, à effet graduel, indirectes, aux mécanismes complexes. Il y aura bien des dégâts physiques, mais on ne sait exactement qui seront les victimes. (Pour le moment, ce n'est pas nous.) Et surtout, il n'y a pas d'ennemi externe.

C'est-à-dire, chacun de nous dans le monde industrialisé - nous sommes les responsables de ces effets. C'est donc nous, l'ennemi. 
Alors il faut se méfier de notre thermostat de risque intuitif, et construire de nouveaux moyens de comprendre, de nouveau modes de conscience. Il faut nous illuminer. Plutôt, il faut nous guérir. Le carbone est une drogue, et nous en sommes devenus dépendants : dépendants des voyages en avion, des autos ; du chauffage central ; de tous ces petits conforts d'une vie consumériste moderne. Moi aussi, je l'avoue, je suis un ex-toxicomane pas encore entièrement guéri.

(iii) Comment peser moins sur la Terre ? (Ce n'est pas tellement difficile !) 
Il faut penser que nos émissions pèsent sur nous : maigrir - perdre des tonnes, devenir plus légers - c'est très agréable ! Ci-dessous je donne quelques exemples d'émissions 'poids-lourds' (mais pas du tout exceptionnelles) pour comparaison avec un régime un peu 'minceur'. On voit bien des différences (en tonnes de CO2 par an) :

Transports 'Poids-lourd' 'Minceur' 'Mini'
Avion 11,0 (Australie x 1)   -   -
4,0  (NY  x 1 voyage)   -   -
Auto 5,7  (2 L, 20.000 km/an) 0,9 (1,4 L, 6.000 km/an)   -
Maison
Chauffage  4,8 (grande maison individuelle) 1,2 (maison mitoyenne isolation thermique ++ ) 0,8 (appt. + chaudière condensante)
Nourriture 2,7 (38% animal ; produits importés  x 1/semaine) 0,8 (végétarien ; produits locaux ; restes compostées) 0.4 ('minceur' ; 100% Bio)
chiffres extraits de George Marshall, 'Carbon Detox', 2007

III. Vers un Témoignage Vivant ? 
La Société des Amis possède des ressources spirituelles idéalement adaptées pour confronter cette crise de l'humanité. Tous les principaux Témoignages Quakers parlent à notre condition actuelle - si nous les mettons vraiment en pratique. 
La vérité et l'intégrité : Nous vivrons en accord avec ce témoignage si et quand nous confrontons franchement et honnêtement cette 'Vérité Inconfortable' ('Inconvenient Truth') dont Al Gore a parlé. La simplicité : Nous la vivrons, en nous rendant vraiment (selon les paroles de George Fox) " des modèles, des exemples, en tout pays... enfin où que vous alliez, que toute votre vie soit une prédication parmi les gens... " 
La Paix : Il est évident que les manques de ressources - de l'eau, de la nourriture, de terrains cultivables - et par conséquent les grands migrations de peuples, que peut déclencher le changement de climat - tout cela risque de provoquer des conflits et des guerres. Aussi bien, dans les paroles de John Woolman, il nous faut chercher et déraciner de notre propre vie " toute occasions de guerre ", c'est-à-dire, notre mode de vie actuel. L'Egalité : Est-ce que nous vivons actuellement selon ce témoignage? Oui, si et quand nous pouvons réduire nos émissions au niveau durable et équitable pour tous nos frères et nos sœurs humains - 1,5 tonnes de CO2 par an. 
Pourquoi (et pour qui) nous allons le faire ? Pour nous ? Pour peser moins ? Pour se sentir plus légers ? Oui. 
Parce que nous avons peur ? Non ! La peur ne peut nous motiver qu'à nous battre ou à fuir (aussi à la fuite psychologique - la dénégation). La peur ne peut pas nous motiver à améliorer le monde. C'est seulement l'amour qui fera cela. Mais l'amour pour qui, ou pour quoi ? 
* Pour nos petits -enfants ? Bien sûr ! 
* Pour le Tiers Monde - pour tous les êtres humains ? 
* Pour les futures générations, mille ans dans l'avenir ? 
* Pour toutes les créatures vivantes sur notre Terre sacrée ? 
Il faudra beaucoup d'amour ! Il faudra le courage, la foi, et l'espoir ! On se rappelle le mouvement quaker pour l'abolition des esclaves, il y a 200 ans. Pendant 17 siècles du christianisme, l'esclavage était admis comme fait inévitable, voire nécessaire pour la civilisation. C'était " normal " - tout à fait comme notre consommation du pétrole ! Mais la campagne quaker contre l'esclavage a réussi. La conscience du monde a été changée pour toujours. Ces choses sont possibles. C'est une histoire dans laquelle nous pouvons puiser de l'encouragement. Tout dépend de notre vision : comment pouvons-nous imaginer un monde futur, dont nous sommes les ancêtres - un monde meilleur que le nôtre : un monde plutôt semblable à la République du Ciel ! 
Alors, soyons des modèles, soyons des exemples... Allons-y ! Il y a beaucoup à faire.